Inhousing

Internaliser massivement : une bonne idée ?

 

Gartner, un acteur incontournable dans le domaine des études de marché internationales, a présenté, il y a quelques semaines, les résultats de son enquête annuelle menée auprès des CMO. La conclusion a fait les gros titres de nombreuses revues spécialisées et a été relayée sur les réseaux sociaux : « L’internalisation est la solution », « L’internalisation : un passage obligé ».

Mais est-ce vraiment le cas ? Et sommes-nous concernés, cher annonceur ?

Commençons par remettre l’étude de Gartner en perspective. Gartner est allé puiser des informations dans des entreprises qui enregistrent un chiffre d’affaires compris entre 500 millions et 20 milliards de dollars aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Nul ne s’étonnera qu’AB Inbev, avec ses 175 milliards de chiffre d’affaires, figure dans la liste. Mais AB Inbev n’est plus une entreprise belge depuis longtemps… Et le fait que Colruyt, le premier acteur de la distribution dans notre pays, décroche de justesse son droit d’entrée avec un chiffre d’affaires de près de 600 millions d’euros nous montre clairement qu’on joue dans la cour des très grands. Même les grands annonceurs belges ne leur arrivent pas à la cheville. Ce qui clarifie beaucoup de choses et montre indirectement à quel point l’internalisation est complexe.

Mais ce n’est pas tout. Sans les bonnes personnes, un projet d’internalisation n’est rien. Eh oui ! Allô fma ! OK, c’est logique, on le sait. Mais en pratique, on voit que c’est là que le bât blesse. Techniquement, trouver de bons internes est tout à fait faisable, mais il ne faut pas négliger les aspects suivants : leur communication est-elle suffisamment au point pour faire comprendre des matières complexes à un +1 ? Quid de l’adéquation à la culture d’entreprise ? Comment s’intègrent-ils à l’équipe marketing ? Sont-ils suffisamment curieux pour rester à la page ?

C’est d’ailleurs précisément ce dernier point qui dissimule un risque supplémentaire. Recourir à l’internalisation aujourd’hui se révélera très certainement utile à court terme pour votre entreprise en général et pour votre département marketing en particulier. Mais la question est de savoir si, d’ici un an, cette même internalisation aura toujours la même valeur ajoutée. Qu’en sera-t-il des innovations, des nouvelles idées, des changements d’outils et du reste ? Une personne qui travaille dans une agence spécialisée reste à la page grâce aux formations, aux interactions avec les fournisseurs et aux dossiers de toutes sortes avec d’autres annonceurs. Si cette même personne travaille en interne dans votre entreprise, elle risque de s’encroûter et d’avoir l’impression de perdre le lien avec son domaine de spécialisation. À moins de dégager des budgets spécifiques, qui seront très probablement disproportionnés.

Ce qui nous amène sans transition au coût de l’internalisation. Encore une fois, vous réaliserez très certainement des économies à court terme. Mais il ne faut pas sous-estimer le coût de propriété ! Les initiatives destinées à préserver la dynamique et à déployer des infrastructures suffisantes pour maintenir le niveau de l’interne dépasseront, à moyen terme, les bénéfices liés à la productivité médiatique. Sans compter que « l’installation » d’un interne n’a rien d’évident. Elle est chronophage et requiert le concours de nombreuses personnes, ce qui détourne leur attention d’autres aspects (peut-être plus importants).

Faut-il, dès lors, exclure l’internalisation ? Ne nous faites pas dire ce que nous n’avons pas dit ! Nous voulons avant tout éviter toute précipitation, vous informer sur les coûts, connus et cachés, et vous faire réfléchir aux alternatives. Que vous deviez prendre le contrôle direct sur certains aspects qui sortent du champ d’action de votre agence média coule de source. Mais inutile, pour ce faire, d’internaliser complètement un spécialiste des réseaux sociaux ou de mettre sur pied votre propre « programmatic buying ». Ne foncez pas tête baissée, cher annonceur, mais commencez par étudier de près la structure marketing opérationnelle interne, établissez un plan de personnel à plus long terme, entourez-vous de spécialistes et optez pour des solutions structurelles et réalistes qui ne font généralement pas les gros titres des revues spécialisées. Ce n’est pas parce que votre agence média présente aujourd’hui des lacunes sur le plan numérique que la solution passe uniquement par l’internalisation. Vision et stratégie, communication et assise, consolidation et ancrage… Eh oui, encore… Kotter et Cohen ont-ils vu juste en 2002 déjà ?