C’est probablement le visage de Frances Haugen qui a le plus incarné le drame de Facebook, ces dernières semaines. Ce n’est toutefois pas cette dame énergique qui est à l’origine des problèmes. Et c’est encore moins cette brillante ex-étudiante de Harvard, également spécialiste des algorithmes, qui, en tant que lanceuse d’alerte, a mis Facebook hors circuit quand le réseau s’est récemment a « planté » à deux reprises. Frances a, en revanche, fourni des munitions aux critiques et au Congrès américain pour empoisonner encore plus la vie de Mark. Tout ce qui arrive à Facebook maintenant semble être la chronique d’une punition annoncée. Ou est-ce simplement le karma ?
Tout d’abord, personne ne survit à une telle tempête sans l’hyper-soutien de quelque chose ou de quelqu’un. Il y a, bien sûr, les « utilisateurs », la base, mais, quelle que soit la façon dont on tourne le problème, Facebook est avant tout un produit de notre industrie du marketing, le supporter absolu du réseau. Il tire 98 % de ses revenus de la publicité. Les marketeers ont été ravis de sa création en 2004 et y ont vu, pardon : y voient, un énorme potentiel. La moitié du monde a récemment pu s’offusquer de la manière dont Facebook gère la vie privée, les données et la transparence, avec des auditions et des scènes de flagellation publiques partout, mais les marketeers semblent rester les anges gardiens du réseau et y voient clairement beaucoup moins de problèmes que Monsieur Tout-le-Monde.
Cela ne fait évidemment pas de bien à notre secteur et on peut se demander pourquoi il y a si peu de réaction de l’intérieur (où restent donc toutes ces associations professionnelles ?). D’un autre côté, c’est un énorme soulagement pour Facebook lui-même. Car comme l’écrivait le New York Times fin octobre : « Admettons-le, Facebook ne changera pas, sauf si les annonceurs l’exigent ». Dans une enquête réalisée par AdAge, voici quelques semaines, les utilisateurs ont indiqué qu’ils ne supprimeraient pas l’application, mais qu’ils attendaient que leurs marques préférées cessent de faire de la publicité sur le réseau. Mais c’était en pleine tempête. Je vous garantis que ces utilisateurs ont déjà oublié depuis longtemps ! C’est aussi simple que cela !
Et Facebook l’a très bien compris ! Tant qu’ils jouent sur ces deux axes – utilisateurs et marketeers -, ils ont le champ libre !
Les problèmes de Mark Zuckerberg & Cie sont toutefois énormes ! Beaucoup de choses ne nous parviennent jamais, mais Facebook traverse actuellement une crise de recrutement. Les ingénieurs refusent des offres et ne veulent tout simplement pas travailler pour le géant. Les « Facebook Papers » mettent, en outre, en lumière une grande discorde et une grande colère parmi les collaborateurs existants. Ils montrent que les jeunes travailleurs partent également en masse. Le problème est d’ailleurs bien plus aigu en Inde. Le Washington Post a découvert que Facebook y incitait très concrètement à la violence. Pareil en Éthiopie, d’ailleurs. Pire encore, Facebook était au courant, mais a laissé faire. La prise d’assaut du Capitole aux États-Unis fut encore plus forte en impact. Facebook a regardé Trump attiser la haine. Les Papers montrent également que le déni climatique vient de l’intérieur de la maison Facebook. Apple a déjà menacé d’interdire Facebook pour maltraitance de domestiques au Moyen-Orient. Et ainsi de suite, cela ne s’arrête pas et il y a beaucoup trop d’affaires à énumérer.
Mais croyez-le ou non, il ne s’agit « que » de choses qui grignotent la crédibilité du réseau social depuis l’extérieur. Elles vous font tout perdre, sauf de nombreux utilisateurs et le soutien du secteur du marketing.
Le grand danger est néanmoins ailleurs. Le 11 octobre, en pleine tempête, Facebook a annoncé qu’il allait changer « la façon dont les gens sont comptabilisés ». Dès cet instant, une personne qui possède un compte Facebook et un compte Instagram n’est plus comptabilisée comme une seule personne, mais comme deux (à moins que les comptes soient liés dans « l’Accounts Center », ce que peu d’utilisateurs font). Imaginez simplement les conséquences, cher marketeer : hausse garantie de la couverture rapportée, donc « autorisation implicite d’augmenter les prix » dans quelques mois ! À la clé ? Encore moins de visibilité sur le coût réel de votre publicité… Bien que Facebook affirme ne pas facturer les annonceurs sur la base des estimations du groupe cible d’une publicité, la plupart des annonceurs s’intéressent évidemment à ces estimations lorsqu’ils allouent leurs budgets. Logique !
Dans ses derniers chiffres trimestriels, Facebook a indiqué qu’il estime que 11 % de ses utilisateurs actifs mensuels dans le monde (sur un total de 2,9 milliards) sont des comptes doubles. Selon une étude mentionnée par le WSJ dans un article du 21 octobre, les campagnes de type « reach-and-frequency » pourraient subir une baisse allant jusqu’à 10 % ! Et c’est un risque, à notre avis, car en tant que Facebook, vous grignotez un de vos deux piliers, à savoir la confiance du secteur du marketing.
Il ne s’agit plus de savoir si le modèle fonctionne ! La question est de savoir si ce que nous payons est correct et si cela fausse les comparaisons avec d’autres médias (locaux ou autres). Savons-nous vraiment ce que nous payons et pour quoi ? Comment calculer, en outre, un coût publicitaire correct si l’on ne connaît pas le nombre d’utilisateurs ? C’est un peu comme calculer le coût d’un GRP à la télévision sans connaître le nombre de téléspectateurs. En d’autres termes, peut-on encore faire confiance aux résultats d’une campagne ?
Pour être clair, la fma n’attaque pas l’algorithme en tant que tel, mais le manque de transparence et l’arrogance avec laquelle le réseau répond aux accusations à cet égard. Car nous sommes tous d’accord sur un point : toute cette agitation n’affecte visiblement pas Facebook. Et il n’y a qu’une seule raison à cela : le soutien de ses protecteurs. Votre soutien !
Que devons-nous faire alors au-delà d’accusations en règle, évidemment trop simples ?
Le secteur doit réagir « en masse » via les associations professionnelles, les agences et surtout via les annonceurs. Pour être clair, pas seulement au niveau belge, mais au niveau mondial ! Il faut exiger (et non pas « demander ») plus de transparence, des audits indépendants, une objectivation des informations provenant de Facebook et l’arrêt de toutes sortes de « parrainages » et de « subventions » cachés de la part du réseau social. Un cri puissant, non pas à la marge, mais au premier plan !
Si cela ne suffit pas, nous devrons aller plus loin et faire comme une grande banque belge : bannir Facebook au niveau local. Nous arrêtons chaque campagne de marque (comme s’il n’y avait pas de possibilités de meilleure qualité !), nous n’investissons que dans les médias que nous pouvons évaluer et nous envisageons l’impact sur 4 trimestres au lieu d’un seul !
Laissons Facebook nettoyer « son nid » et nous prouver qu’il peut le faire. Le fait qu’ils publient désormais des annonces pleine page dans nos journaux locaux, eh bien… Cela correspond parfaitement à l’accent mis sur « l’axe marketing », c’est-à-dire gagner des âmes…