Un billet pour la deuxième classe

Accenture est mort, vive l’audit média ! Pour éviter tout malentendu : c’est « Accenture Media Audit » qui a mis la clé sous la porte, pas sa grande sœur. Pas la filiale qui se convertit actuellement en une agence publicitaire polyvalente, mais celle qui était en train de se transformer en agence média.
« Ouf », dira une partie du secteur, « dommage », penseront d’autres. Aux débuts de fma déjà, il y a près de 12 ans, nous portions un œil critique sur les méthodes de benchmark d’Accenture, le fameux « pooling » qui évaluait les conditions média d’un annonceur à l’aune d’une propre base de données qui contenait des données d’autres annonceurs. Ce pool était non seulement aussi obscur que le plus sombre des trous noirs de l’univers, mais ses conditions média étaient tout simplement impossibles à benchmarker, tant elles dépendaient très spécifiquement d’une foule de facteurs : timing, budget, mix médias, historique et j’en passe.
Mais voilà : c’en est fini. C’en est fini des discussions sans fin, des agences frustrées.
Le monde de l’audit média compte maintenant de nouveaux acteurs : Ebiquity renforce sa position de leader, IDComms grappille rapidement les parts de marché, MediaPath recrute des leaders du secteur et d’autres se font progressivement leur place, souvent au départ du Royaume-Uni. Quant à nous, chez fma, nous connaissons une forte croissance dans le Benelux.
Mais nous nous faisons tout de même du souci…
PJ Leary, CEO d’une sous-branche du groupe IDComms, a déclaré cette semaine dans un article de blog que nous devions revoir de toute urgence la manière d’effectuer les audits média. « Bonne nouvelle », vous direz-vous. L’audit de demain devra être « plus rapide, plus intelligent et plus facile à mettre en œuvre ». Un rapport d’audit doit parvenir au CMO, suggère-t-il aussi. Les contacts avec l’agence média doivent être plus nombreux. Il faut collaborer davantage pour créer un plus grand avantage compétitif pour l’annonceur. L’auditeur doit beaucoup mieux comprendre les objectifs et les stratégies des campagnes. « Les audits de prochaine génération devront être simplifiés et se concentrer uniquement sur les insights et les actions les plus significatives » est l’une de ses phrases soulignées en gras dans l’article.
Ça alors ! Quelques concepts vagues et creux nous posent question : que signifie « plus rapide » et « plus intelligent » ? Réaliser un audit média plus vite, c’est comme prendre un billet pour la deuxième classe, vous pouvez le croire ! Et dire que les audits de demain devront être faits plus intelligemment signifie, ni plus ni moins, que nous ne faisions pas suffisamment preuve de réflexion jusqu’ici, n’est-ce pas ? Il est vrai qu’un rapport d’audit doit être plus concret et plus « facile à mettre en œuvre ». Nous n’avons rien à redire là-dessus. Mais affirmer que l’auditeur média doit se concerter davantage avec l’agence média et formuler des perspectives et des actions sur la base de la réflexion des planificateurs et des stratégies qu’ils développent est une pure absurdité.
Appelons un chat un chat. Les auditeurs sont des contrôleurs ! Personne n’aime être contrôlé, pour la simple et bonne raison que personne n’aime essuyer des remarques sur son travail. C’est humain ! En permettant à l’auditeur média d’évaluer les stratégies, on dévalorise complètement le travail des stratèges de l’agence média. Pire : nous n’allons pas réduire les interminables discussions au sein de l’agence média, mais, au contraire, les multiplier ! Les auditeurs devront être les meilleurs stratèges des médias et du marché, qui, tels de véritables superhéros, devront critiquer les mois de réflexion des meilleurs spécialistes dans le cadre d’un audit « rapide » de deux semaines ! Une réflexion étayée par des « first, second and third party data », des informations clients et des analyses concurrentielles. Penser qu’un auditeur média en est capable est certes très élogieux pour lui, mais est surtout infaisable en pratique !

Une stratégie n’est jamais toute blanche ou toute noire et les possibilités sont si diverses qu’il n’existe pas d’analyse parfaite. Qu’avez-vous à y gagner, en tant qu’annonceur ? Encore plus de doutes, ça, c’est sûr…
Ce que vous devez attendre d’un auditeur média, cher annonceur, c’est une analyse qui ne remet pas en question le travail de l’agence média, mais qui le contrôle. Rien d’autre ! Ai-je reçu ce qui a été négocié ? L’analyse est-elle transparente ? Les chiffres sont-ils corrects ? Ai-je une équipe équilibrée ? Les honoraires facturés sont-ils corrects ? Etc.
Des questions claires, auxquelles on répond par oui ou par non et qui ne mènent pas à des discussions sans fin avec le CEO d’une agence média.
En tant qu’annonceur, vous pouvez/devez vous montrer critique et émettre de réserves sur la transparence et sur les chiffres. Mais la base de la collaboration avec l’agence média, c’est-à-dire votre intelligence média, elle, ne peut être remise en question !
Attendez-vous, par exemple, d’un contrôleur fiscal qu’il aménage votre maison ou détermine la motorisation de votre voiture ? Non ! Vous attendez de lui qu’il accepte ou non certains postes déductibles et qu’il vérifie si vous avez correctement appliqué les règles relatives à votre voiture de société. Attendez-vous de l’inspecteur du contrôle technique qu’il repeigne votre voiture ? Le restaurateur attend-il de l’AFSCA qu’elle remanie son menu ? Je ne crois pas…
N’attendez donc pas de votre auditeur média qu’il réécrive votre plan média…
Votre auditeur doit, en revanche, vous donner l’assurance que l’agence a respecté votre contrat, que tout se déroule en toute transparence et qu’il existe une liste de points d’amélioration afin que l’annonceur et l’agence puissent poursuivre leur collaboration.